Par Jacques Legendre,
Ancien Ministre, Sénateur du Nord, Secrétaire général de l’Assemblée, Parlementaire de la Francophonie
La disponibilité du livre au format numérique est désormais une réalité. Il est urgent d’en tirer toutes les conséquences. Pour les nouveautés, les titres sont aujourd’hui édités dans des formats électroniques natifs, permettant une commercialisation numérique. C’est ainsi qu’une grande partie des 654 romans de la rentrée littéraire 2011 a été proposée conjointement sous forme imprimée et sous forme digitale. Pour le patrimoine, les bibliothèques publiques regardent la numérisation de leurs collections comme un impératif et de vastes bibliothèques numériques se créent, telles que Gallica pour la Bibliothèque nationale de France. Mais ces bibliothèques numériques sont limitées aux titres du domaine public (XVe – XIXe siècle). La production éditoriale du XXe siècle reste pour l’essentiel protégée par le droit d’auteur et difficilement accessible au public. En effet, pour des raisons de rentabilité économique fiable, une grande partie des titres publiés au XXe siècle n’a pas été rééditée. Épuisés sous forme imprimée, indisponibles dans le commerce, ils ne sont plus accessibles que dans les bibliothèques. Nous ne devons pas nous résigner à être ainsi privés de l’accès à une part essentielle de la pensée proche du XXe siècle, alors que la numérisation peut faire renaître cet important corpus. Il faut donc régler le problème de la titularité incertaine des droits numériques, droits revendiqués tant par les auteurs que par les éditeurs. Il n’est pas possible de lancer une campagne systématique d’adaptation de centaines de milliers de contrats anciens à la réalité digitale. En effet, hors quelques titres au potentiel commercial réel, les modèles d’affaires sous-jacents à la réexploitation numérique de ces œuvres sont ceux de la longue traîne, peu compatibles avec les coûts de transaction que nécessiterait la mise à jour des contrats. Les éditeurs, acteurs naturels de la valorisation des œuvres, ne peuvent l’envisager. Quant aux bibliothèques, elles ne sont pas davantage titulaires des droits numériques sur ces œuvres indisponibles, même si elles peuvent parfois en avoir la tentation. On comprend la frustration du lecteur qui se voit refuser l’accès à quelque 500 000 titres d’une époque encore très proche.
La proposition de loi que j’ai présentée au Sénat se propose de sortir d’une situation ressentie par beaucoup comme inacceptable et insupportable. Le mécanisme fondamental permettant de régler de manière consensuelle entre auteurs et éditeurs la question de la titularité des droits est l’instauration d’une gestion collective des droits numériques sur les œuvres indisponibles par une société de perception et de répartition des droits (SPRD).
La proposition vise ensuite à replacer les ayants droit au premier plan de la valorisation et de l’exploitation de l’œuvre, en évitant toute nouvelle exception au droit d’auteur tout en mettant en place des modèles différents du commerce des nouveautés. Au moment où Google renonce aux États-Unis à l’accord transactionnel qu’il espérait conclure avec les ayants droit du monde entier pour faire valider la copie sans autorisation des œuvres protégées conservées par des bibliothèques, la mise en œuvre du présent texte, éligible aux moyens financiers du Grand emprunt, peut faire de la France le premier pays, pour le rayonnement de sa culture et pour la Francophonie, à disposer d’un tel instrument !