Mamadou Seck, Président de l’Assemblée nationale du Sénégal
Comment pourriez-vous définir le climat politique et économique au Sénégal aujourd’hui ?
La vie politique au Sénégal se présente comme un véritable laboratoire démocratique. Même si parfois certains dérapages sont encore à déplorer, les échanges et les débats y sont intenses. Depuis les élections de mars 2009, un travail de fond a été conduit, notamment avec la France, pour renforcer le rôle du Parlement et donner du sens ainsi que de la vitalité à nos institutions. Sous l’angle de l’économie, on enregistre globalement une croissance régulière de l’ordre de 5%. C’est positif, mais pas encore suffisant pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Cependant, il y a eu une nette reprise dans le secteur agricole avec des productions record pour les céréales et l’arachide, même si les taux ont légèrement baissé en 2009. Enfin, il est également à noter que le secteur du génie civil et des infrastructures a largement contribué à cette croissance.
À l’instar des autres États africains, le Sénégal célèbre cette année le cinquantenaire de son accession à la souveraineté, placé sous le thème : « Forces de défense et de sécurité au cœur de la sécurité humaine ».
Il est important de souligner que l’indépendance est avant tout une célébration de l’armée et de la jeunesse. L’armée est perçue comme le dernier rempart de la protection de notre pays. On pourrait même parler du concept d' »Armée-Nation ». Ainsi, les différentes manifestations du cinquantenaire qui se dérouleront tout au long de l’année permettront de revisiter notre Histoire nationale. Cet événement majeur se déroulera en quatre phases autour desquelles plusieurs activités seront menées. La Journée de lancement s’est déjà tenue le 6 février dernier au Stade Léopold Sédar Senghor. C’est à cette occasion que le Président de la République a ouvert les festivités du cinquantenaire, qui se sont poursuivies avec la fête de l’Indépendance le 4 avril, et continueront avec la Journée mondiale du tirailleur en juillet ainsi que celle des Forces armées en novembre. À l’Assemblée nationale, par exemple, divers événements permettront de retracer 50 ans de vie politique, d’offrir une rétrospective complète du travail parlementaire entrepris, de redécouvrir les grandes figures qui ont façonné le destin du Sénégal, tout en exposant également ses éventuelles faiblesses. Cette expérience sera prolongée avec nos amis francophones, car nous accueillerons cet été l’Association des parlementaires francophones. Ainsi, 2010 offre l’occasion de retracer le parcours accompli pendant un demi-siècle dans tous les domaines de la vie sénégalaise.
Quelles sont les grandes différences, s’il en existe, entre les chambres française et sénégalaise ?
Il est important de savoir que nous disposons des mêmes législations, des mêmes cadres, et des mêmes prérogatives qu’en France. Nous avons réalisé un travail considérable sur le plan réglementaire pour nous aligner sur le modèle français. Aujourd’hui, bien que le cadre soit en place, il faut toutefois reconnaître les faiblesses de nos parlementaires. Il est essentiel de renforcer encore davantage leur capacité. Saviez-vous par exemple que nous n’avons pas encore d’attaché parlementaire capable de conseiller ou d’apporter une expertise particulière sur des sujets spécifiques ? Mais saviez-vous également que grâce aux fonds de l’Union Européenne, nous avons bénéficié de séminaires de formation ainsi que d’une « valise pédagogique », permettant par exemple de gérer un budget ou de conduire une loi ? Jusqu’à présent, un parlementaire n’était pleinement efficace qu’à la fin de son mandat et devait ensuite céder sa place à un nouveau sans expérience. Désormais, grâce aux diverses formations mises en place, nos parlementaires peuvent être opérationnels dès le début.
En tant que Président de l’Assemblée nationale, quels sont les grands chantiers auxquels vous souhaitez vous atteler en 2010 ?
Nous avons beaucoup travaillé pour assainir le fonctionnement de l’Assemblée, donc actuellement il n’y a pas de gros chantier spécifique à entreprendre. Cependant, la santé reste une priorité majeure. En témoigne notre confiance actuelle dans la gestion des grandes épidémies, telles que le paludisme ou la tuberculose.
Quelle est l’implication des parlementaires sur les questions relatives au VIH en particulier ?
Concernant le VIH, c’est un domaine clé sur lequel nous avons beaucoup réfléchi. Bien que le Sénégal affiche le taux de prévalence du VIH le plus faible en Afrique, nous maintenons une pression continue, surtout dans les zones à risque élevé, comme celles à forte immigration ou dans des secteurs d’activité sensibles comme les transports. Les parlementaires sénégalais ont intégré dans leurs stratégies la lutte contre le sida ainsi que la promotion des droits des personnes vivant avec le VIH. Il est crucial de donner une place privilégiée aux populations vulnérables souvent marginalisées, afin de les aider à surmonter les défis liés à un cadre juridique parfois obsolète, face à l’évolution des mœurs et des réalités socio-anthropologiques. J’encourage donc les élus à faire du VIH un problème de santé publique. La Campagne Nationale « Droits de l’Homme et Accès universel » contribue à obtenir de bons résultats.
Quelles sont les stratégies qui permettront d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement d’ici 2025 ?
Le Sénégal a été sélectionné par l’ONU parmi plusieurs pays pour participer à un projet pilote inter-organisations visant à aider le gouvernement à perfectionner les stratégies et programmes de réduction de la pauvreté. Nous sommes relativement confiants et pensons que le Sénégal est l’un des pays où ces objectifs peuvent être atteints. Cependant, nous sommes encore confrontés à un problème majeur de mortalité maternelle et infantile, particulièrement élevée dans des régions enclavées telles que Tambacounda et Kolda. Cependant, je suis convaincu qu’en unissant nos efforts, nous pourrons atteindre les objectifs fixés. Les améliorations nécessaires concernent non seulement les infrastructures qui sont aujourd’hui de qualité, mais aussi l’accès aux soins, aux médicaments et aux protections sociales. Actuellement, nous travaillons sur un vaste projet de couverture médicale universelle, bien que sa mise en place prenne du temps. À cet égard, le Rwanda représente un modèle de réussite en matière de mutualisation.
Quelle est l’importance de la langue française pour les Sénégalais aujourd’hui ?
Les variantes et enrichissements régionaux constituent les éléments essentiels d’une norme propre au français en Afrique, une réalité particulièrement vraie au Sénégal. D’ailleurs, Senghor, ancien Président de la République, agrégé de grammaire, linguiste et chantre de la Négritude, ne disait-il pas : « Nous sommes pour une langue française, mais avec des variantes, plus exactement des enrichissements régionaux » ? Ces particularités touchent les mots, les sens, la grammaire et la stylistique, donnant parfois naissance à des néologismes séduisants ou à des métaphores surprenantes. Ces spécificités du français au Sénégal contribuent à préserver leur tradition et leur culture. Toutefois, bien que le français reste la langue officielle et s’adapte aux réalités locales, l’anglais gagne du terrain, surtout chez les jeunes, nombreux à aspirer à des études aux États-Unis ou au Canada anglophone. Malgré cela, l’attachement au français demeure profond.
Quel message souhaitez-vous adresser à la classe politique française ?
Nous avons beaucoup à partager et souhaitons approfondir notre collaboration, afin que notre Parlement ne soit pas seulement un élément statique de notre pays, mais devienne le moteur de notre destinée, condition sine qua non d’une démocratie stable et durable, à l’image du Ghana, un modèle en matière de gouvernance. Nous espérons que la France comprendra que le Sénégal s’engage pleinement pour promouvoir une véritable diplomatie parlementaire…
Propos recueillis par Pauline Wirth du Verger