Moi aussi, je me souviens le bonheur de vivre dans le seul grand pays où les langues courantes sont celles de Racine et de Shakespeare

par François Xavier SIMARD

Né à L’Orignal, en Ontario, François-Xavier Simard grandit à Chicoutimi, au Québec, puis s’établit à Ottawa-Gatineau. Il fait ses études universitaires à La Sorbonne où il obtient un doctorat de troisième cycle en lettres françaises en 1977. Il aborde la littérature comme romancier, biographe et essayiste. Il publie de nombreux essais, dont : Le français, langue internationale et La crise mondiale de notre fin de siècle. Il rédige des biographies de pionniers de son pays, dont Pierre Péladeau, l’homme derrière un empire, Jean Despréz (1906-1965). Une femme de tête, de courage et de cœur, co-écrit avec André La Rose, de même que Fulgence Charpentier (1897-2001). La mémoire du XX siècle. Cette biographie de 904 pages, co-écrite avec Denyse Garneau, est parue aux Éditions du Vermillon, début 2007. François-Xavier Simard voue un amour inconditionnel aux livres, à la lecture, à l’écriture et n’a guère dévié de sa route depuis sa première publication en 1977.

Je souhaite faire ressortir mon expérience personnelle en tant qu’auteur nord-américain par rapport à son expression dans le contexte de la francophonie. Que représente-t-elle pour moi ? Je soulève en même temps des questions qui se posent et suggère des pistes de solution. Lors de mon adolescence au Saguenay, je n’avais que les livres, dont Le beau risque et Un Canadien errant de François Hertel, pour survivre, étancher ma soif de connaissance et rêver. Je me suis apprivoisé à la culture française par la lecture de classiques et dois beaucoup aux auteurs que j’ai lus. C’est à leur suite que j’écris, pour que d’autres, comme moi, puissent non seulement survivre, mais vivre et rêver.
Je m’attache à rendre compte de problèmes individuels et particuliers au Canada français, y compris au Québec bien évidemment. Dans mes romans et nouvelles, certains thèmes sont récurrents: la diversité des expressions culturelles ou la destinée de mes personnages. Mais c’est le plus souvent l’expérience de ma propre vie qui transparaît.
Je préfère parler de « biographisme» dans le sens où Marguerite Duras l’entendait en évoquant L’Amant. Cette notion de « biographisme » laisse une plus large part à la fiction, car sur fond d’expérience personnelle, l’écrivain élabore une toute autre histoire, celle de ses personnages.


Dans mes romans, Milenka jusqu’aux Racines enfouies, j’ai parcouru une géographie culturelle d’un demi-siècle d’histoire avec le même personnage, prénommé Paul, citoyen du monde qui, inlassablement, cherche à savoir qui il est. Mes récits sont aussi initiatiques pour le père de Paul qui entrevoit, à la toute fin de sa vie, qu’il n’a pas été un homme complet. Il lègue alors à son fils le plus beau des héritages : il l’incite à devenir un homme complet, et je dirais un homme nouveau.
Depuis les années 1970, je participe à des foires du livre et à des colloques dans divers pays de la francophonie, entre autres, aux Biennales de la langue française. Ces contacts internationaux, que ce soit à Dakar, Abidjan, Tunis, Liège, Lausanne ou Menton, ont joué un rôle de miroir.
Je me suis aperçu notamment qu’en Afrique on ne voit pas d’incompatibilité entre négritude et francité, qui s’enrichissent mutuellement comme le font l’individuel et l’universel.
En regardant comment agissent les autres, on s’efforce à faire des bilans en profitant du recul que permettent les voyages. À cela s’ajoute un autre phénomène fascinant. Des activités comme les Jeux de la Francophonie offrent paradoxalement à des Montréalais, par exemple, de rencontrer d’autres Montréalais, d’établir des contacts et de nouer des liens plus facilement à l’étranger, parce que moins absorbés par les obligations quotidiennes.
Bref, on traverse parfois l’Atlantique pour se voir sur le continent africain ou européen.
Mon pays à moi, ce n’est pas l’hiver. C’est un petit pays imaginaire, enjoué, naïf et improvisateur à la fois, où l’on reçoit des amis et édite des livres que l’on a plaisir à écrire. J’en tire profit depuis trente ans avec mon modeste talent. Mon rêve de publier un roman à Paris ne s’est pas encore concrétisé. Mais je me satisfais en me disant que j’ai au moins eu le plaisir d’avoir produit jusqu’ici des ouvrages que l’on achète en librairie ou que l’on emprunte dans les bibliothèques publiques.
Quant à m’imposer comme auteur dans mon milieu natal, je sais que la consécration viendra d’abord d’un éditeur parisien. Pour ce faire, il faut être disposé à s’exposer aux humeurs de personnes qui, en fait, décident à Paris des réputations littéraires.
Si, des deux grands poètes que possède le Québec, Alain Grandbois et Anne Hébert, cette dernière est la plus connue hors du Canada, ne le doit-elle pas à son adoption, par les Éditions du Seuil? Quant à Alain Grandbois, jusqu’au petit volume que Seghers lui a consacré, ne se contentait-il pas de recueillir ses vers sous le signe montréalais des Editions de l’Hexagone de Gaston Miron ? Ramuz, auteur suisse d’origine, n’a obtenu la gloire, même parmi les siens, que lorsqu’il eut séduit l’éditeur parisien Bernard Grasset par l’originalité de ses prises de position autant que par la saveur de son style.
La difficulté pour les auteurs du Canada français d’être publiés en France demeure bien réelle. Ce n’est pas d’hier que les Québécois essaient de prendre leur place sur le marché français. Le 11 mai 1949, le quotidien La Presse de Montréal faisait écho au voyage en France, qualifié de fructueux, de Paul Péladeau, membre de la Société des éditeurs canadiens et directeur des Éditions Variétés. Il venait d’obtenir des modifications à la loi rendant enfin possible l’entrée du livre canadien en territoire français.
Des éditeurs montréalais ont depuis lancé bien des auteurs qui ne le cèdent en rien à la moyenne de ceux que publient les éditeurs parisiens et que célèbre la critique française.
Ils parviennent parfois jusqu’à celle-ci grâce à un réseau bien organisé de critiques et de chroniques littéraires pour rédiger dans les revues et journaux français des recensions de livres en co-publication Marie Laberge ou Marie-Claire Blais, par exemple.
Le milieu littéraire a longtemps voulu dénicher des librairies qui pousseraient, par les moyens publicitaires dont ils disposent, la vente des œuvres d’auteurs québécois. Les premiers contacts établis, on s’attendait à ce qu’ils portent fruit en peu de temps, mais force est, plus de cinquante ans plus tard, de constater qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Je voudrais proposer des solutions et suggérer des moyens d’alléger ce problème.
Pour favoriser des relations encore plus étroites entres les éditeurs français et leurs homologues du reste de la francophonie, dans l’espoir de permettre la publication d’auteurs francophones étrangers dans la Ville lumière, il faudrait créer une association favorisant un lien plus direct entre les éditeurs parisiens et les meilleurs auteurs des autres pays du monde francophone.
Il est aberrant d’entrer chez un libraire à Saint-Germain-des-Prés ou aux Champs-Élysées je pense à la FNAC) et de ne pas y retrouver sur les étagères – sauf en co-édition peut-être – d’ouvrages publiés au Canada français. C’est comme si l’écriture nord-américaine de langue française n’existait pas. Par contre, on y trouve une section pour auteurs francophones des Antilles, d’Afrique, d’Asie et même de Chine. La politique du livre semble s’inscrire dans des échanges commerciaux entre nations alors qu’elle devrait s’inscrire dans un contexte linguistique.
La francophonie s’est pourtant avérée jusqu’ici un foyer fécond pour élargir le bassin d’appuis. Cela pourrait se manifester, par exemple, par la possibilité pour les éditeurs canadiens d’être distribués sans plus de conditions que n’en rencontrent les Gallimard-sur-Seine, en vitrine des traductions des Tom Clancy ou des Danielle Steele.
Les Antilles, Haïti comprise, apporte au Canada français, y compris l’Acadie, une sorte de contrepoids tropical, en même temps qu’elles assurent une transition entre l’Occident européen ou américain et les Nations africaines. Ainsi, j’ai le sentiment de jouir du meilleur des deux mondes: la douceur de l’Europe et l’efficacité de l’Amérique, où j’exprime ma différence relativement au Français de France. Cette idée me séduit, mais la France et Paris demeurent les pôles de développement de la culture française. À l’image de ce que représentent New York et Londres pour un écrivain canadien d’expression anglaise de Toronto ou de Vancouver.
Dans un pays où l’on aime bien les drapeaux, rares sont ceux qui acceptent d’en brandir. Une littérature intimement liée à un espace particulier est une chose étrange et accidentelle. Les écrivains ne travaillent pas en groupe, même s’ils vivent au même endroit, au même moment. Les romans portent d’ailleurs sur des gens, pas sur des lieux.
D’autres problèmes se posent dans la francophonie. Par exemple, il est trop souvent question de politique et d’affaires, et pas assez de littérature. Au nombre des acteurs importants pouvant aider à trouver des remèdes aux questions de ce genre, mentionnons l’Unesco et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Ces organismes s’efforcent constamment d’être à l’avant-garde de la lutte pour la culture. Si la Convention de l’Unesco sur la diversité culturelle, signée en octobre 2006, est la « bataille du Millénaire », selon le Secrétaire général de la Francophonie, il faudra alors voir concrètement à la suite des choses.
La diversité des expressions culturelles sera à l’ordre du jour du prochain Sommet des Chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie qui aura lieu à Québec, à l’été 2008. Elle le sera aussi, toujours en 2008, en parallèle aux fêtes du 400° anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Concrètement, je proposerais à court terme la tenue, en marge de ces activités politiques et culturelles de l’été 2008, d’une Rencontre mondiale de poésie. Elle pourrait être présidée par un grand poète, par exemple Aimé Césaire, un des maîtres de l’atricanisme littéraire. Un prix annuel de100 000 dollars pourrait aussi être institué par POlF pour le meilleur ouvrage paru dans l’année, ouvrage qui serait chaque fois sélectionné par un jury différent.
Une cinquantaine de poètes de réputation internationale issus de divers pays pourraient y participer, en tandem avec le Festival international de la poésie de Trois-Rivières, au Québec.
Cette rencontre intensive de trois jours serait ouverte au public. Une soirée internationale de la poésie, couronnée par un gala, clôturerait des séances de travail sur la place qu’occupe la poésie dans le monde francophone actuel.
Pour tirer notre épingle du jeu dans cet univers francophone, il faut s’ouvrir au monde.
Aussi, je suggère un autre remède: un programme technique renforcé, dans tous les secteurs, de voyages pour les jeunes francophones et francophiles, de niveau pré-universitaire, dans des pays de la Francophonie. Sortir pour voir ce qui se fait ailleurs, être en contact avec l’étranger pour se comparer. Le plus tôt sera le mieux. Jamais Internet ni le BlackBerry ne remplaceront la présence physique, les contacts directs entre les gens.
Oui, je me souviens de toutes ces amitiés tissées jusqu’ici dans la francophonie mondiale.
Ma vie n’aurait pas eu beaucoup de sens sans elles. Et je me sens privilégié d’avoir le bonheur de vivre dans le seul grand pays du monde où les langues courantes sont celles de Racine et de Shakespeare. Nous sommes les héritiers d’une culture et d’une langue qui sont notre commune patrie, qui sont notre seule patrie. Que les gouvernements de l’Occident fassent en sorte que les immigrants puissent apprendre le français au lieu de continuer à vivre comme s’ils n’avaient jamais quitté leur pays d’origine.
Vive la Francophonie ! Vive la littérature ! Puisse un jour la littérature de chez nous s’exporter aussi bien que la chanson québécoise !
Que cette amitié universelle se poursuive ad vitam aeternam.