Le rayonnement culturel international : une ambition pour la Diplomatie française

par Jacques Legendre,

Sénateur du Nord, Président de la Commission des Affaires culturelles

et

Josselin de Rohan,

Sénateur du Morbihan, Président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense

Josselin de Rohan
Jacques Legendre

Une diplomatie culturelle en crise

À la veille d’une importante réforme de notre diplomatie culturelle, annoncée par le Ministre des Affaires étrangères et européennes le 25 mars dernier, notamment avec le projet de création d’une grande agence culturelle sur le modèle du British Council ou du Goethe-Institut, les Commissions des Affaires culturelles et des Affaires étrangères du Sénat ont souhaité participer activement au débat. Elles ont conjointement organisé un cycle d’auditions consacré à l’action culturelle de la France à l’étranger. Pour contribuer au succès de cette réforme, nos deux commissions ont présenté dans un rapport d’information commun une série de propositions sur la réforme de notre action culturelle extérieure.

La France dispose d’un réseau exceptionnellement dense et diversifié, comprenant à la fois des services de coopération et d’action culturelle au sein de nos ambassades, ainsi que des instituts et centres culturels relevant du ministère des Affaires étrangères mais bénéficiant d’un régime d’autonomie financière. L’originalité du dispositif français réside dans l’existence, en parallèle au réseau du ministère des Affaires étrangères, d’un vaste réseau d’Alliances françaises, associations de droit privé issues d’initiatives de la société civile locale. Le réseau culturel a considérablement évolué ces dix dernières années : le nombre d’établissements culturels en Europe occidentale a diminué d’un tiers (et de moitié en Allemagne). En revanche, 14 Alliances françaises ont été créées en Chine et 10 en Russie au cours de la même période. Notre action culturelle extérieure repose également sur une multitude d’opérateurs, parmi lesquels l’association CulturesFrance.

Les principales lacunes de notre action culturelle extérieur

La culture constitue une composante essentielle de la diplomatie d’influence, dans le cadre du concept de « soft power » développé par le géopoliticien américain Joseph Nye. Il est désormais impératif de substituer à une logique de rayonnement, marquée par son héritage historique, une politique d’influence qui valorise non seulement la diffusion mais aussi l’enrichissement mutuel des cultures. Le cadre actuel, souvent comparé à un « Yalta administratif » entre le ministère des Affaires étrangères, en charge de la culture française à l’étranger, et le ministère de la Culture, compétent pour la culture en France, n’est plus adapté aux défis posés par la mondialisation. Bien que le ministère des Affaires étrangères doive conserver un rôle prépondérant dans le pilotage stratégique, notamment en raison de l’importance de la diversité culturelle pour notre diplomatie, une plus grande implication du ministère de la Culture et d’autres ministères concernés est nécessaire.

Au sein du ministère des Affaires étrangères, la direction de la politique culturelle et du français de la nouvelle direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats doit élaborer les priorités stratégiques pour notre action culturelle extérieure, en se concentrant sur les grandes zones géographiques. Elle devrait être déchargée des tâches de gestion afin de se consacrer pleinement au pilotage de la future agence. Parallèlement, les ambassadeurs doivent continuer à jouer un rôle crucial dans la promotion de l’action culturelle au niveau local.

La fusion des services de coopération et d’action culturelle des ambassades (SCAC) avec les Instituts et centres culturels, au sein d’un nouvel établissement doté d’une autonomie financière, doit être accélérée. Le redéploiement de notre réseau culturel doit également se poursuivre, avec un renforcement de notre présence dans les pays émergents, aligné sur une stratégie bien définie plutôt que sur des considérations financières de fermeture d’établissements.

Il est crucial de préserver l’indépendance des Alliances françaises tout en poursuivant une politique de conventionnement adaptée. Le coût du réseau culturel pour l’État, estimé à 138 millions d’euros en 2008, équivaut au budget d’un établissement tel que l’Opéra national de Paris ou la Bibliothèque nationale de France. Malgré des baisses de crédits substantielles en 2009, jusqu’à -15% voire -30% dans certains pays, nos partenaires et concurrents britanniques, allemands, espagnols et chinois renforcent considérablement leurs financements et leur présence culturelle à l’étranger.

Les personnels en charge des centres culturels ne bénéficient actuellement que d’une formation de cinq jours, tandis qu’en Allemagne, par exemple, la formation initiale est de six mois. De plus, la durée d’immersion dans un pays est courte, environ trois ans, comparée à cinq ans pour le British Council ou l’Institut Goethe, qui offrent des perspectives de carrière plus attractives à leurs agents.

Les propositions des deux commissions

À l’heure où l’influence culturelle et intellectuelle de la France à l’étranger est contestée par la dynamique d’autres nations, le ministre des Affaires étrangères a annoncé la création d’une agence chargée de la coopération culturelle. Pour soutenir cette réforme, les commissions des Affaires culturelles, étrangères et de la défense du Sénat ont adopté à l’unanimité dix recommandations visant à répondre aux principales questions soulevées par un tel projet :

  • Placer la future agence de coopération culturelle sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères.
  • Mettre en place un Secrétariat d’État à la francophonie, à l’audiovisuel extérieur et aux relations culturelles extérieures.
  • Aménager une place privilégiée au ministère de la Culture tant au stade de l’élaboration qu’au stade de la mise en œuvre de notre politique culturelle extérieure.
  • Mettre en place, auprès du Président de l’agence, un comité scientifique qu’il présiderait afin d’assurer l’information régulière des différents secteurs culturels et artistiques intéressés. Ce Conseil comprendrait également des représentants des collectivités territoriales.
  • Confier à la future agence, les missions exercées jusqu’à présent par CulturesFrance auxquelles s’ajouterait la diffusion de la langue française et la promotion du patrimoine audiovisuel français. En revanche, en exclure la coopération universitaire scientifique et technique qui devrait être réservée à un opérateur distinct en charge de la mobilité et de l’expertise internationale.
  • Rattacher à l’agence le réseau culturel en faisant des établissements culturels à autonomie financière les représentations locales de l’agence. À cet égard, il est possible de s’inspirer de l’expérience du transfert progressif du réseau commercial des missions économiques du ministère de l’économie à l’EPIC Ubi France.
  • Consacrer le rôle de l’ambassadeur dans la déclinaison de notre action culturelle extérieure au niveau local en lui confiant le cas échéant la présidence d’un Comité d’orientation stratégique et de programmation placé auprès de chaque établissement culturel.
  • Associer les Alliances françaises à la mise en œuvre de notre politique culturelle extérieure sur un mode partenarial en s’inspirant du système de partenariat et de convention entre l’AEFE et les lycées de la mission laïque.
  • Rénover en profondeur la gestion de nos ressources humaines de notre réseau culturel, en confiant à l’agence la responsabilité de la formation et de la gestion de carrière des agents concernés.
  • Enfin, à cela, il conviendra de prévoir une gestion rénovée des ressources humaines en dotant notre action culturelle extérieure de moyens budgétaires et humains à la hauteur de ses ambitions.