par Jean-Marie Burguburu, Ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris & Danièle Burguburu, Conseiller d’État
Parlez-vous français ?
Question provocatrice pour beaucoup, question d’évidence pour certains, interrogation inutile, non comprise, pour le plus grand nombre. Question fondamentale pour tous ceux qui estiment que le maintien, la diffusion et l’expansion de notre langue sont autant d’exigences et d’atouts pour le rayonnement de notre pays, de sa culture, de sa pensée, de sa recherche et de son économie. Il faut écarter la double objection systématiquement opposée aux militants, nombreux, de la francophonie et aux amoureux, plus nombreux encore, de la langue française :
Tout d’abord, il serait trop tard et le combat serait perdu devant l’envahissement de l’anglais comme langue véhiculaire quasiment universelle, de la vie des affaires aux publications scientifiques en passant par le tourisme planétaire.
Sans pouvoir contester la suprématie actuelle de l’anglais dans ces différents domaines, il est pourtant aise de réfuter cette objection tant cette situation ne reflète qu’un moment de l’Histoire sans être définitivement figée : regardons par exemple la montée en puissance de l’espagnol sur le continent nord-américain ou l’ignorance de l’anglais dans la plus grande partie d’un monde émergent et demain – sinon aujourd’hui déjà, comme la Chine – économiquement puissant voire dominant. En outre, l’anglais ainsi utilisé n’est plus, on le sait, celui des Britanniques ni même des Américains: c’est un sabir au vocabulaire limité, à la syntaxe inexistante et dont la grammaire simpliste permet l’usage à un grand nombre, parfois même d’illettrés dans leur propre langue nationale.
Constatons ainsi l’usage de cet anglais que même connaissent les plus ardents tenants de la francophonie – il n’est qu’à voir la liste des membres d’honneur du Haut Comité national de la Francophonie pour s’en convaincre – mais ne pensons pas que cette prééminence, actuelle, momentanée, longue sans doute mais provisoire peut-être, de l’anglais « tel qu’on le parle » constitue, en soi, un obstacle ou un frein à une défense intelligente et à une promotion active et généreuse du français.
Mais s’élève alors la seconde objection ; elle est symétriquement inverse de la première : la volonté de « faire rayonner la langue française » ne serait que l’habillage plus ou moins réussi d’une stratégie de conquête sinon d’hégémonie par la France et certains de ses alliés fidèles, sur quelques parties du monde que la géographie et surtout I Histoire sont liées à notre pays. Comme si les efforts et le dévouement des partisans de la francophonie ne constituaient qu’une résurgence masquée du colonialisme, attitude nécessairement condamnable et inéluctablement condamnée, alors que la pratique de l’anglais ne subit pas une telle critique. Que d’erreur cependant dans un tel raisonnement ! que de peurs contre la domination apparente de l’anglais évoquée plus haut, que de timidité mal placée dans le rôle que nous pouvons avoir à l’égard du français et que lui-même et son usage peuvent avoir
pour nous.
Utiliser la langue française, agir pour la propagation de son usage, de sa lecture, de sa compréhension, ce n’est ni une attitude passéiste (le souvenir d’un Empire colonial ou d’un globe terrestre où de grandes tâches, roses le plus souvent, signalaient la présence de la France) ni la marque d’une volonté de (re) conquête.
D’abord parce que l’anglais – et d’autres langues avec lui – sont utilisées par de nombreux locuteurs de tous les pays, ensuite parce qu’une telle attitude serait non seulement irréaliste mais véritablement contre-productive avec le but recherché.
Quel est ce but en définitive ?
Oublions la mort de notre langue, le risque n’est pas là ; elle est bien vivante, la langue française, du Québec à Madagascar par exemple, mais aussi dans d’autres pays dont elle n’est pas la langue principale ni officielle.
Il s’agit, on le sait bien, de transmettre une pensée, littéraire ou technique, un style, une vision du monde (ce que les Allemands appellent une « Weltanschauung ») qui est celle de notre pays, de notre culture, de notre peuple.
Savoir que des écrivains étrangers publient dans notre langue est, à cet égard, réconfortant puisque trop souvent le français est malmené par ceux-là mêmes qui devraient en être les gardiens. Pas des gardiens de musée cependant, le français est en effet une langue bien vivante. Tous ceux, Français ou étrangers, qui l’aiment, l’utilisent, la parlent et la comprennent, la font vivre, non pour leur seul avantage, mais au bénéfice de la civilisation du monde entier.