Le français en questions…

C’est dans le cadre somptueux de la maison du Barreau de Paris, à l’invitation de Maître Alain de Foucaud, Avocat à la Cour, Membre du Conseil de l’Ordre, Chargé des Relations européennes et internationales, que s’est tenue la seconde édition des dîners du Haut Comité National de la Francophonie, en partenariat avec le Journal du Parlement, donnée ce soir là, sous la Présidence de Danièle Burguburu, Conseiller d’État.

Présidé par Annick du Roscoät, Membre du Conseil Économique et Social, le Haut Comité National de la Francophonie, qui doit remettre un Livre Blanc au Président de la République et au Premier ministre, auditionnait ce soir là toute une série de personnalités.

Figuraient ainsi, côté politique, S.E Pierre-André Wiltzer, Ancien ministre, Ambassadeur en Mission, Haut Représentant pour la Sécurité et la Prévention des conflits,

Gilbert Le Bris, Député-Maire de Concarneau, Vice-Président de la Commission de la Défense et des Forces Armées, Membre de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.

S.E Loïc Hennekine, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Ancien Conseiller Diplomatique du Président de la République François Mitterand, Ancien Secrétaire général du Quai d’Orsay et du Sommet des Pays industrialisés,

Sedeta Midzik, Conseiller culturel, Chargée de la Francophonie à l’Ambassade de Croatie, ainsi que

Fatou Bastard, Conseiller, Chargée du Nepad auprès du ministre de l’Économie du Sénégal.

En cette Maison du Barreau de Paris, le monde judiciaire figurait également en bonne place, puisque la soirée, donnée sous les auspices du Bâtonnier, représenté par le Conseiller d’État Danièle Burguburu et Maître Alain de Foucaud, accueillait également le juge Bruno Struslese, Chef du service des Affaires européennes et internationales au ministère de la Justice, et Jean-Marc Baïssus, Juge, Délégué général de l’Agence de Coopération Juridique Internationale. Étaient également présents, Bernard Dhéran, Sociétaire Honoraire de la Comédie-Française, tandis que le monde des médias était représenté par Hervé Bourges, Ancien Président de France Télévision et du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, Président de l’Union Internationale de la Presse Francophone, Pierre Bellemare, Journaliste, Producteur Radio et Télévision, et Alain de Tilière, Directeur du Journal du Parlement, Président de l’Office de Presse Parlementaire, Président du Comité de France et Administrateur du Syndicat de la Presse Magazine et Spécialisée…

Morceaux choisis…

Bruno Sturlèse : Longtemps, le français a été une langue du Droit. Mais aujourd’hui, il existe une guerre d’influence au niveau mondial et les enjeux culturels sont considérables. Il faut donc trouver un positionnement qui soit efficace. Si le français est encore la langue officielle à la Cour de Justice à Luxembourg, l’anglais s’utilise de plus en plus. Vous avez, Madame la Présidente, un appui évident avec la Francophonie Juridique.

Loïc Hennekinne : Nous devons être réalistes et constater que le français n’est plus la première langue parlée. On doit donc se positionner. Les différents gouvernements français ont heureusement défendu la diversité culturelle, mais je pense que la proposition de loi Balladur n’est pas une bonne solution. Elle risque de nous aliéner les autres pays, anglophones, lusophones, hispanophones… qui veulent bien nous soutenir, mais nous ne devons pas apparaître comme coupés des réalités. À la BCE, par exemple, un Français ne parlera jamais sa langue maternelle, parce que cela fait mieux d’employer l’anglais. Autre point important, la langue doit être défendue dans son propre pays. Il convient en effet de tirer la sonnette d’alarme : les correspondances administratives françaises, par exemple, sont incompréhensibles, de même que la correspondance diplomatique. On est submergés par des textes et des lois, rédigés dans un français très aride. Mon ami, l’Ambassadeur du Chili à Paris, S.E. Hernan Sandoval, me disait récemment : « Je veux bien vous défendre, mais il faut faire des efforts de votre côté. » Les Africains soutiennent la même chose : « Vous ne faites aucun effort pour défendre votre propre langue. » Le combat se gagnera en France et dans l’Union européenne.

Danièle Burguburu : Je crois qu’il n’est pas trop tard. Au Conseil d’État, nous veillons à traduire systématiquement les mots anglais en français. Cela peut paraître un détail mais c’est un point très important si nous ne voulons pas que l’anglais prenne peu à peu le pas sur notre langue. Il nous faut rester vigilants avant qu’il ne soit trop tard.

Jean-Marc Baïssus : Par essence, les juristes sont des amoureux de la langue. Les mots sont des diamants. Les avocats disent le droit. Acojuris est une agence de support de l’expertise juridique française. Le droit français à l’étranger est porté par l’ensemble des professionnels. Les experts français, à travers leurs compétences, portent la culture. Je l’ai vécu en tant que Conseil juridique en Éthiopie. Ces pays recherchent des offres de droit. Avec le temps, ce que les Éthiopiens retenaient, c’était la diversité, la liberté. Les pays pauvres, qui n’ont pas de grands moyens, souffrent quand des gens leur imposent leurs vues. Il y avait une présence modeste des juristes français, mais c’était pour eux une fenêtre par rapport aux États-Unis. Nous devons travailler sur l’importance que revêt cette diversité. À la Banque Mondiale, la langue unique est l’anglais, mais parlée de différentes manières. On a traduit le Code français d’abord en anglais pour les Éthiopiens, car il n’y avait pas de francophones. Alors plutôt que de transférer tout de suite un intérêt pour la langue française, j’ai travaillé avec des clés anglaises pour traduire le concept français. Les traductions sont généralement faites par des anglophones qui trahissent la langue. Il est préférable de créer des mots qui traduisent le concept. Autre domaine, Internet : il serait bon que nos accents et ceux des autres langues soient reconnus, comme les trémas par exemple.

Pierre-André Wiltzer : J’ai été responsable de la Francophonie, comme vous le savez, pendant deux ans. Concernant la diversité culturelle, la Conférence Internationale de l’UNESCO, qui s’est tenue à Paris, a permis d’établir de solides axes de travail. Numériquement, les Français, les Allemands, les Italiens… sont écrasés et à travers eux, ce sont les cultures et les identités des peuples qui en pâtissent. Il y a une opposition assez forte entre la France et les francophones d’une part, et les États-Unis de l’autre, qui s’efforcent de nous barrer la route. Je rejoins S.E. Hennekinne, car en effet le combat doit se mener au niveau de l’Union européenne. S’il y a une attente des francophones de l’UE, la question linguistique sera d’autant plus vive avec l’élargissement à 25 et plus. Lors des dîners de travail entre ministres, je parlais français, en sachant pertinemment que la moitié des participants ne comprenaient pas mon propos. C’est un obstacle concret. La solution peut passer par des langues pivots, qui auraient un statut privilégié par rapport aux autres. Le combat n’est pas perdu. Il faut rester ferme sur les principes et nos positionnements. Il manque toutefois dans notre dispositif national une coordination plus étroite avec le ministère des Affaires Étrangères. L’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger et l’Association Française d’Action Artistique (AFAA) relèvent de hiérarchies différentes, or elles sont des institutions à part entière de la langue française. L’éparpillement empêche de mener une stratégie offensive…

Hervé Bourges : La langue anglaise étant la langue de communication mondiale, il ne faut donc pas mener un combat d’arrière-garde. Il faut se battre sur la diversité culturelle et rester modeste par rapport aux petits pays qui accèdent aux responsabilités. Mais il ne faut pas capituler… Or, nous capitulons ! Nous parlons un anglais abâtardi. Il n’y a jamais de sanctions envers les hauts fonctionnaires français, les diplomates. Jean-Claude Trichet, Président de la Banque européenne à Strasbourg, devant un parterre de francophones, s’est exprimé en anglais : c’est un scandale. Le Président Abdou Diouf, Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), m’a nommé témoin francophone au sein de l’OIF pour les Jeux Olympiques d’Athènes. Le ministre Jean-François Lamour, qui recevait les athlètes, faisait ses conférences de presse en anglais. La candidature à la Maison de la France a été faite elle aussi en anglais ! Il y a décidément une démission. Les Africains, qui ne comprennent pas l’anglais, sont désemparés. En 1980, j’ai été nommé Porte-parole et Ambassadeur de France à l’UNESCO. Des conférences de presse ont eu lieu tous les jours. Mon prédécesseur les faisait en anglais… Eh bien moi, en français ! Inutile de revenir sur le scandale que cela a déclenché et pourtant, il y avait une traduction ! Je suis assez inquiet… Le Quai d’Orsay a de moins en moins de moyens et nous sommes en train de perdre pied. Dans certains domaines, les sciences notamment, on n’est pas publiés. Qu’il existe des exceptions, soit, mais faisons en sorte que la perte de vitesse de notre langue ne soit pas généralisée.

Gilbert Le Bris : Nous ne faisons pas la guerre contre l’anglais, mais contre l’américain et même, un américain globish. Quand le mur de Berlin est tombé, beaucoup de pays, qui avaient une tradition francophone, n’ont pas été aidés. On aurait pu envoyer des enseignants, par exemple. Certains médias ont choisi de promouvoir des langues régionales, mais la situation financière des chaînes est limitée. Quand une télévision traduit en breton pour 100 personnes, c’est beaucoup de moyens pour peu d’audience. La Francophonie véhicule une idée, une pensée. Nous devons faire des écoles à la française, en respectant les langues locales, en gardant le principe de laïcité. Pour moi, le combat n’est pas perdu, même s’il est mal engagé. Quand Jack Lang a promu le français en Californie, tout le monde essayait de parler, car c’était à la mode. Quand une opportunité se présente, saisissons-la !

Pierre Bellemarre : Ce qui me frappe, c’est le recul évident du français dans le domaine du commerce. En 1987 quand j’ai commencé le télé-achat, il était interdit de vendre un produit si le mode d’emploi n’était pas écrit en français. Aujourd’hui qu’en est-il de cette règle ? Elle n’est plus suivie. Pour la télévision, l’anglais est amusant, il autorise de curieuses expressions : vous voyez le mot « pitch », que tout le monde emploie à sa place de « résumé ». Alors qu’en Belgique, au Canada, ils sont ravis d’utiliser leurs propres expressions. Le « torchon » en Belgique se dit « essuie ». Il serait intéressant d’inciter d’avantage des média à s’ouvrir sur cette richesse. IL serait amusant de parler notre langue, avec des mots issus de Belgique, du Canada ou d’Afrique. Il en est de même pour les langues régionales. À la télévision, il faudrait reprendre un programme comme « les francophonisimes », en les mettant au goût du jour. On pourrait faire aussi une émission de télé-réalité, avec des troupes de théâtre qui se battraient sur les textes d’auteurs. Autre point, les e-mails que l’on reçoit sont parfois truffés de fautes d’orthographe et proviennent pourtant souvent de cadres dirigeants. Il y a une profonde négligence par rapport à la langue. Si on s’amusait avec, on la retiendrai mieux.

Bernard Dhéran : La mission première du Comédien Français est d’être un ambassadeur itinérant. Au XVIIème siècle, le comédien ordinaire du Roi avait pour mission de « donner les classiques » et d’exporter la langue. Quand j’étais au Français, les tournées que nous donnions avaient un succès fou et sont aujourd’hui en voie d’extinction. Les tournées se font en France, dans les pays limitrophes, mais à l’étranger, elles meurent peu à peu. Pourtant, quel souvenir mémorable j’ai de nos représentations au Japon, par exemple, avec Robert Hrisch. Nous jouions un Feydeau et les gens riaient en décalé à cause de la traduction simultanée !

Sedeta Midzic : Jusqu’en 1850, au Parlement, nous parlions latin pour ne pas parler allemand, car le croate n’était pas reconnu comme langue officielle. Nous nous sommes orientés vers la culture allemande, mais à Zagreb, l’Institut de France a été fondé en 1925-1927 et malheureusement, aujourd’hui, il a fermé sa bibliothèque. Dans les écoles, la première langue étrangère apprise est l’anglais, car c’est plus facile, même si nous sommes plus proches de l’Autriche ou de la France. Pourtant, la langue française est une force pour ne pas être prisonnier d’une seule culture. Mais nous attendons de la France qu’elle nous aide aussi à défendre la langue croate, à rechercher nos racines. Les langues croates et serbes sont très proches, mais les cultures sont différentes. Nous souhaitons aussi conserver notre patrimoine linguistique…

Alain de Tilière : Les gens ne comprennent pas toujours la langue qu’ils parlent. La recherche linguistique devrait être davantage développée. Le français serait plus en vogue si ses racines étaient mieux connues. Qui étudie encore le latin ou le grec ? Les mots anglais étaient interdits il y a une vingtaine d’années dans les titres de journaux ou de magazines ; ce n’est plus le cas aujourd’hui. En ce qui concerne les invendus, cela représente des millions de magazines. Nous avions proposé lors du précédent dîner de pouvoir les distribuer, notamment en Afrique. Le Président du Syndicat de la Presse magazine et spécialisée est très intéressé par l’idée. Restent des problèmes juridiques et techniques qu’il faut résoudre, notamment avec les messageries de Presse. C’est difficile mais faisable. C’est une question de volonté et de travail…