La place de la langue française et son devenir

par Alain de Foucaud, Avocat à la Cour, Membre du Conseil National des Barreaux, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre

Il m’a été demander d’apporter une réflexion pragmatique sur les voies qu’il conviendrait développer pour la défense et la promotion de la langue française. Ma contribution à ce vaste et important sujet sera celle de l’avocat d’affaires que je suis et qui, par choix, travaille à la fois en langue française et en langue anglaise en utilisant les outils du droit civil et de la common law.
C’est donc à partir de mon expérience de juriste que j’orienterai ma réflexion et proposerai quelques pistes relatives à une optimisation de l’utilisation de la langue française.

Le diagnostic est aujourd’hui relativement simple. La majorité des affaires juridico-financières concernant des opérations transfrontalières obligent à la pratique, le plus souvent, de la langue anglaise. Les échanges de courriers, les conférences téléphoniques, les rendez-vous, même s’ils ont trait à des intérêts français à l’étranger, sont le plus souvent conduits ou rédigés en langue anglaise.
De même, force est de remarquer une progression importante de l’utilisation de modèles juridiques inspirés de documents anglo-saxons et d’une soumission des contrats au droit de la common law.
Les autorités de l’État au plus haut niveau ont pris conscience de cette situation et ont ainsi décidé de créer une Fondation pour le droit continental. Au cœur de ce projet réside la compréhension que le droit est un vecteur important de la croissance d’une économie et qu’en défendant la pratique du droit romano-germanique, nos économies, tant en termes d’investissement que de consommation, peuvent recueillir des bénéfices importants.
Bien évidemment, l’usage de droit romano-germanique, ou droit civil, peut impliquer le plus souvent la pratique orale et écrite de la langue française. Ainsi, le lien entre la défense de la pratique de notre langue et de notre droit est-il trouvé et doit être utilisé aussi souvent que possible.
Il convient à cet effet de saluer les efforts importants, soutenus d’ailleurs par la Chancellerie du Barreau de Paris, pour promouvoir l’utilisation du droit français et faire valoir la nécessaire convergence du droit romano germanique et de la common law, ce dans l’intérêt bien compris de toutes les parties en cause.
Les conférences internationales du droit et de l’économie qui se sont tenues à Paris et à Washington au cours des quatre dernières années sont une illustration de cet effort. Les juristes français ou étrangers qui travaillent à Paris au sein de cabinets fondés en France, ou de filiales de cabinets étrangers, participent également à ce mouvement en faisant progresser la science juridique et en résolvant des problèmes économiques le plus souvent sur la base du droit français, mais aussi d’un mélange de droits, sorte de métissage de cultures juridiques.
Tout cela en appelle à la notion de convergence du droit. Ceci est vrai notamment sur le plan européen, mais également sur le terrain africain avec l’exemple de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (O.H.A.D.A.).
Ainsi, à travers l’utilisation du droit français et/ou d’un mélange de droits né de la mondialisation de nos affaires, la pratique de la langue française peut être au centre de la question qui nous préoccupe. Cette utilisation ou son maintien passent évidemment par la qualité de l’environnement juridique, lequel, en l’espèce, est un élément important du maintien et du développement de la langue française.
Il est nécessaire de s’attacher non seulement à défendre, mais également à définir systématiquement, le système juridique le plus utile au moment des opérations concernées. Certes, les juristes pratiquant le droit des affaires disposent d’une double culture juridique et sont capables de traiter les dossiers dont ils ont la charge en langue française comme en langue anglaise. En utilisant toutefois des outils de droit civil, des contrats et ou des modèles formés à ce droit, façonnés par la jurisprudence française, nos juristes défendent l’utilisation de la langue française.
La pratique du droit civil apparaît donc comme un vecteur particulièrement porteur pour la continuité de l’utilisation de la langue française, tant parlée qu’écrite. En défendant le droit romano germanique, nous défendons également l’utilisation de la langue française. Il ne faut jamais perdre de vue cette question.
Il convient encore de continuer de sensibiliser à ces questions les juristes français et/ou étrangers qui exercent à Paris, mais également ceux qui exercent dans des cabinets français à l’étranger.
Le Gouvernement doit, à cet effet, aider puissamment par des mesures fiscales appropriées l’implantation de cabinets d’avocats français à l’étranger. Il faut que le Barreau de Paris, le plus grand Barreau de France regroupant près de 20 000 avocats, continue son effort en faveur de la convergence du droit et de l’économie. Il faut que le Conseil National des Barreaux, organisme national des avocats regroupant plus de 45 000 d’entre eux, se joigne à cet effort. Il faut que le Comité des Barreaux Européens fasse de même, d’autant qu’il regroupe en son sein davantage de pays de tradition de droit romano germanique que de pays de common law et qu’il continue de mener en français et en anglais ces débats.
Il est enfin important que les services internationaux des organismes juridiques et judiciaires français se connaissent mieux, de façon à coordonner leurs actions, travaux et déplacements. Ce fut d’ailleurs le sujet de la seconde édition des Etats Généraux des Services Internationaux du monde juridique et judiciaire qui se sont tenus à Paris le 29 mars 2006, sous l’égide de la Fondation pour le Droit Continental, du Conseil National des Barreaux et du Barreau de Paris. À chaque fois que le droit civil est défendu, la langue française en est bénéficiaire.