La Francophonie n’est pas une doctrine mais un formidable outil d’émancipation pour des millions d’Hommes

Xavier Darcos, Ministre délégué à la coopération, au Développement et à la Francophonie

À la veille du sommet de Ouagadougou, qui doit définir les modalités d’action de la francophonie pour les prochaines années, le Ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie dresse un état des lieux sur le rôle et la place de notre langue dans le monde, vecteur d’influence et de rayonnement trop souvent méconnu…

Rentrée solennelle de Xavier Darcos à l’Institut de France.

Quel état des lieux de la francophonie peut-on dresser aujourd’hui ?

Je serai à la fois confiant et nuancé. La Francophonie est d’abord une familiarité avec une langue qui n’est plus seulement la nôtre, mais qui est parlée dans les foyers de plus de 120 millions d’hommes et de femmes dans le monde, auxquels on ajoutera 60 millions de personnes disposant en français d’une compétence réduite mais suffisante dans un certain nombre de situations. Si l’on ajoute que plus de 80 millions d’élèves, d’étudiants et d’adultes l’apprennent, on a une idée de l’extension du français, qui a la particularité, parmi les langues les plus parlées, de couvrir toutes les régions de la planète : le français occupe le 11ème rang mondial en tant que langue maternelle, sur plus de 2000 recensées, et le 9ème rang si on le prend en compte en tant que seconde langue. Mais il se trouve que c’est la 5ème place des langues à diffusion intercontinentale, après l’anglais, l’espagnol, l’arabe et le portugais. Une autre caractéristique très positive est qu’après avoir été l’outil des élites politiques de toute l’Europe, le choix du français exprime désormais deux aspirations : la volonté d’accéder à une langue de développement, de créativité, de modernité, d’aventure scientifique et technologique ; et d’autre part, souvent en même temps, une préférence pour les valeurs qu’il véhicule : l’État de droit et les libertés publiques, la diversité des cultures, une certaine conception d’un monde plus ouvert et fraternel. Autre constat : le français progresse. Jamais on ne l’a autant parlé dans le monde. Pour autant, nous ne devons pas relâcher nos efforts, car l’anglais progresse plus vite encore. Pour maintenir la dynamique et répondre à cette demande de français dont nous avons une idée toujours plus précise, y compris dans des régions du monde éloignées de la francophonie traditionnelle comme l’Asie, le ministère des Affaires étrangères développe des actions de coopération culturelle et de promotion à travers un réseau très étendu de 151 établissements culturels et de plusieurs centaines d’alliances françaises, enseignant notre langue à 400 000 étrangers. Il peut en outre compter sur le concours de ses 6000 agents de coopération et d’action culturelle et sur ses 266 établissements scolaires français à l’étranger accueillant 160 000 élèves. De nouveaux outils pédagogiques sont mis au point, l’enseignement du français se répand désormais directement sur la toile. Nous travaillons en tandem avec la plupart des pays, dans l’esprit du plurilinguisme : à l’issue du 4ème Conseil des ministres franco-allemand, le Président de la République vient d’annoncer un plan stratégique pour le développement de la langue du partenaire. Enfin, en décembre de cette année, les « États généraux de la francophonie en Grèce » réuniront des centaines de professeurs.

Quels sont les chantiers lancés par votre ministère pour développer une francophonie, que vous décrivez comme « un élément du rayonnement de la France et de ses valeurs dans le monde » ?

J’inscris, comme mes prédécesseurs, l’action de ce ministère en faveur de la langue française dans une démarche plus générale de promotion de la diversité culturelle et linguistique. Je conduis la politique linguistique extérieure de la France selon deux grands axes : le soutien à la Francophonie institutionnelle et l’action bilatérale que mène ce ministère. Ce dernier confie, par ailleurs, à la coopération multilatérale francophone deux programmes destinés à consolider la place du français dans les enceintes internationales. Ces opérations, gérées par l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie, sont le Plan pluriannuel pour le français dans l’Union Européenne, signé en 2002 avec le Luxembourg, la Communauté française de Belgique et l’AIF, ainsi que le plan de relance du français dans la vie internationale.

L’avenir du français dans le monde se joue en bonne partie en Europe. Nous avons donc doté de 1,5 million d’euros le Plan pluriannuel pour le français dans l’Union Européenne, qui vise à renforcer la place de notre langue dans les institutions européennes. Des actions de formation au français sont menées au bénéfice des fonctionnaires des administrations centrales et territoriales. Aujourd’hui, plus de 3000 représentants des nouveaux adhérents suivent des cours intensifs de français. S’y ajoutent des actions en faveur des juristes-linguistes, des diplomates, des membres des représentations à Bruxelles, etc.

Quant au plan pour la relance du français dans la vie internationale, lancé au Sommet de la Francophonie à Hanoï en 1997, nous le dotons d’un million d’euros. Il comporte plusieurs volets, dont le plus important est un programme de placement de jeunes experts francophones, à raison d’une vingtaine par an, dans des postes jugés stratégiques pour la francophonie au sein des organisations internationales. Ce programme devrait être partiellement réorienté l’année prochaine vers des organisations régionales en Afrique et dans l’Océan Indien, ainsi que vers les organisations internationales ayant leur siège sur ce continent. La place du français mérite, en effet, d’être renforcée dans ces institutions. Cette inflexion, souhaitée par la France, présente l’avantage de montrer aux pays africains que le français est défendu sur tous les fronts.

Je tiens également à souligner l’importance de l’activité menée par un deuxième opérateur de la Francophonie, l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), et à mettre en lumière son programme de mobilité scientifique et universitaire. Une convention a été signée en août dernier entre l’Agence et ce ministère, aux termes de laquelle nous confions à l’AUF la sélection et la gestion des boursiers confirmés et autres bénéficiaires de mobilités de niveau minimum de 2ème et 3ème cycles. Ce programme, qui se met en place, illustre bien l’intérêt de la synergie entre la coopération bilatérale et la coopération multilatérale.

Par ailleurs, dans le cadre d’une politique de rigueur, le budge consacré à la Francophonie a-t-il été maintenu ou restreint ?

Les ressources budgétaires allouées à la Francophonie ont pu être maintenues. Ainsi, la contribution que la France verse aux opérateurs cette année via le Fonds multilatéral unique s’élève à 46,47 millions d’euros, dont 22,19 millions d’euros pour l’Agence Intergouvernementale, 20,62 millions d’euros pour l’Agence Universitaire et 1,75 million d’euros pour l’Université Senghor d’Alexandrie, qui dispense un enseignement spécialisé en français à destination des cadres de haut niveau des pays du Sud. La contribution à l’AUF est par ailleurs complétée par un financement bilatéral de 10 millions d’euros pour le programme de bourses de mobilité. En outre, les dotations bilatérales consacrées stricto sensu à la langue française s’élèvent à 50,3 millions d’euros sur crédits centraux. L’Afrique et l’Europe sont nos zones d’intervention privilégiées.

Lors du XIème Congrès mondial de la Fédération Internationale des Professeurs de français (FIPF), placé sous la présidence du Secrétaire général de l’OIF, vous avez réaffirmé le caractère prioritaire de la coopération pour la langue française et le rôle essentiel du réseau mondial des professeurs de français pour la mettre en œuvre. Quelles initiatives avez-vous proposées en leur faveur ?

J’ai en effet été très heureux d’inaugurer, au nom des autorités françaises, le XIème Congrès mondial de la Fédération Internationale des Professeurs de Français qui a réuni, à Atlanta, en juillet dernier, plus de professeurs de français venus du monde entier. Il m’a été très agréable de souligner dans mon allocution d’ouverture le rôle de « médiateurs » et de « relais » de la langue française et de la Francophonie que jouent les milliers d’enseignants et de militants du français que cette organisation rassemble. J’ai pu rappeler les différentes mesures que le ministère des Affaires Étrangères déploie à leur intention : celles-ci vont de la subvention annuelle aux associations locales d’enseignants de français jusqu’à l’organisation et à la prise en charge d’actions de formation, sur place ou en France, au moyen de bourses. Il peut s’agir également d’opérations prenant la forme de concours, comme par exemple le programme « Allons en France ». Entrent enfin dans ce cadre la conception et la mise à disposition de documentation et de produits pédagogiques actualisés, y compris dans le domaine de l’audiovisuel éducatif et des technologies de l’Information et de la Communication.

Je n’ai pas manqué non plus de citer les programmes sectoriels régionaux que ce Ministère a récemment élaborés et mis en place pour l’Europe, l’Afrique, les pays arabes, l’Asie et l’Amérique latine. Ils correspondent à une vision différenciée de notre action de promotion de la langue française à travers le monde. J’ai enfin proposé plusieurs initiatives nouvelles que je souhaite mettre en œuvre le plus rapidement possible : la première sera la création d’un Fonds d’innovation pédagogique, doté par le ministère des Affaires Étrangères dès 2005 de 100 000 euros annuels, destiné à soutenir les projets les plus novateurs en matière d’enseignement du français langue étrangère conçus par les associations de professeurs. Nous allons ensuite organiser des stages de formation aux techniques de recherche de partenariat au bénéfice des responsables d’associations. Cette formule vise à donner aux responsables associatifs des outils pour les aider dans leurs démarches de recherche de partenariats et de collecte de fonds, tant publics que privés.

Enfin, j’ai annoncé la généralisation de la diffusion de la revue « Le français dans le monde », grâce à la prise en charge par ce ministère de 1000 abonnements directs au bénéfice de structures et d’enseignants isolés, ayant difficilement accès à du matériel pédagogique et à de l’information en français. Ce soutien s’ajoutera à la prise en charge de 550 abonnements à tarifs modulés au bénéfice des associations des pays défavorisés. Je me félicite également que la « Déclaration d’Atlanta », qui a clôturé cette manifestation, ait réaffirmé le rôle de la langue française et de la Francophonie comme alternatives à l’uniformisation culturelle et linguistique du monde. Elle a par ailleurs exprimé un certain nombre de recommandations parmi lesquelles je relèverais :

  • La promotion au sein de la Francophonie de la diversité culturelle et linguistique, l’ouverture aux différentes variantes du français et leur reconnaissance par la création d’une instance multilatérale chargée de mettre en place un dictionnaire francophone,
  • le soutien aux initiatives du monde associatif en faveur de la diversité didactique,
  • l’appui à l’édition francophone et à sa mise en réseau,
  • une stratégie de pression sur les organismes mondiaux et sur le monde de l’entreprise afin de garantir la diversité et le droit à la différence.

En citant André Malraux, Annick du Roscoät, Présidente du Haut Comité de la Francophonie, a rappelé que « l’action que nous pouvons avoir collectivement pour la langue française n’est pas une action égoïste ou de repli sur soi ; c’est une action qui protège la diversité linguistique du monde et donc le pluralisme des cultures » avant d’ajouter qu’il s’agit « d’un rempart formidable pour lutter le plus efficacement contre les communautarismes et donc toutes les formes de racisme et d’antisémitisme« . Est ce votre opinion ou pensez-vous au contraire que la francophonie est menacée dans le contexte actuel ?

La Francophonie n’est pas une doctrine, bien entendu, mais un formidable outil d’émancipation pour des millions d’hommes. Si, depuis le Sommet de Ouagadougou, l’Organisation Internationale de la Francophonie rassemble plus de 60 pays, et si, en plus de ces États, on trouve des millions de francophones ailleurs, c’est parce que nous sommes nombreux à nous retrouver dans ces valeurs universelles que vous évoquez. Le français et tout ce qui l’entoure proposent une ouverture, une alternative à l’uniformisation des langues et des modes de pensée. Cette diversité est cruciale car elle évite soit une perte d’identité nuisible au développement individuel, soit de graves crispations identitaires menant à l’intolérance, au désespoir et à la violence. Dans ce contexte, la Francophonie est une chance de dépasser les clivages politiques habituels, de combler le fossé Nord-Sud, de rapprocher toutes les croyances et toutes les cultures.

Dans un autre registre, qu’attendez-vous du Sommet de Ouagadougou ?

Le Xème Sommet des chefs d’États et de gouvernement, qui se tiendra à Ouagadougou les 26 et 27 novembre 2004, a pour thème « La Francophonie, espace solidaire pour un développement durbale« . Il permettra à la France de réaffirmer ses priorités.

Quelles sont-elles ?

Tout d’abord, la promotion du français comme grande langue de communication sur le plan international. Les francophones réaffirmeront leur volonté de conforter le statut et l’usage de leur langue commune. Par ailleurs, la France réaffirmera le droit qu’ont les États et gouvernements de développer des politiques de soutien à la production et à la diffusion des œuvres culturelles. Elle appellera à la poursuite de la mobilisation de la Francophonie en faveur de l’adoption à l’UNESCO d’une « Convention pour la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques », lors de la 33ème conférence générale à l’automne 2005. Nous militons en faveur d’un instrument normatif depuis le Sommet mondial pour le développement durable (2002). Nos idées sont partagées et l’Organisation Internationale de la Francophonie mène, en ce domaine, des actions concrètes remarquables.

Pour la France, la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme dans l’espace francophone est une autre priorité. Le Président de la République le rappellera à ses pairs lors des échanges sur la situation politique internationale. Nous attendons des progrès substantiels en faveur de la restauration de l’État de droit et du retour à une vie politique apaisée dans les pays en crise d’Afrique et des Caraïbes. Le développement économique et solidaire des pays de l’espace francophone est bien entendu au cœur de nos préoccupations. La France entend prendre toute sa place dans l’effort commun. Elle va annoncer une initiative en matière de micro-crédit.

Les francophones réaffirmeront, dans la Déclaration de Ouagadougou, leur détermination à parvenir à la réalisation des Objectifs du Millénaire, ainsi que leur mobilisation pour un développement durable fondé sur la gestion maîtrisée des ressources naturelles, un progrès économique inclusif, un développement social équitable s’appuyant sur l’éducation et la formation, des garanties de démocratie et d’État de droit pour tous les citoyens, sans oublier une ouverture généreuse à la diversité culturelle et linguistique.

La Francophonie mènera cette politique de développement solidaire en s’appuyant sur le Cadre stratégique décennal qui sera adopté à Ouagadougou par les chefs d’États et de gouvernement. Ce document définira, pour la période 2005-2014, des objectifs précis et des modalités d’action renouvelées, malgré les moyens et les ressources limités dont dispose l’Organisation Internationale de la Francophonie. Ce sommet sera surtout l’occasion pour nous tous de manifester notre confiance envers l’Afrique. Nous le voyons à travers les premières avancées du NEPAD. C’est cette confiance, cette amitié, cette solidarité que nous exprimerons dans les jours à venir dans la capitale burkinabée.

Propos recueillis par Pauline Wirth du Verger (2004)